La Belle Province a rarement été aussi tendue que depuis le 12 mars, jour de l’instauration par Québec de fortes mesures pour contrer la pandémie de Covid-19. Entre cette date et le 26 mars, le nombre de personnes infectées est passé au Québec de 13 à 1.629. Pour l’ensemble du Canada et pour la même période, le nombre de personnes infectées est passé de 143 à 4.018. 39 morts ont été enregistrés à l’échelle canadienne.
Signe d’un climat qui se détériore, des personnes âgées se sont plaintes des comportements irrespectueux dont elles ont été victimes. Le 12 mars, le Premier ministre québécois, François Legault, avait pourtant demandé à la population «de porter une attention spéciale aux personnes vulnérables, en particulier les aînés», afin d’assurer leur sécurité. Une consigne qui semble aujourd’hui se retourner contre certains des principaux concernés…
Des comportements déplorables envers les aînés
Selon Judith Gagnon, présidente de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées, ces deniers jours, de nombreuses personnes âgées se sont vues intimer l’ordre de retourner chez elles alors qu’elles se trouvaient à l’extérieur de leur domicile. Si Québec suggère à chacun, peu importe l’âge, de rester confiné, à l’heure où nous écrivons ces lignes, aucun confinement obligatoire n’a été décrété, sauf pour les aînés vivant dans des résidences pour personnes âgées. Des injonctions telles que «enweye à la maison» (expression québécoise signifiant «va-t’en à la maison») seraient devenues relativement courantes.
«Les consignes données par Québec concernant les aînés sont correctes, car ils représentent une population à risque. Le gouvernement Legault gère bien la crise. Cela dit, il y a des situations qui peuvent faire ressortir l’âgisme et la pandémie en fait partie. […] Des gens ont commencé à être agressifs envers les aînés dans la rue et dans les commerces. C’est difficile à accepter pour eux, surtout que plusieurs n’ont aucune aide, ils sont forcés d’aller faire eux-mêmes leurs courses», dénonce Mme Gagnon à notre micro.
Le 20 mars dernier, Radio-Canada a relaté que des clients jugés âgés avaient dû présenter leurs pièces d’identité à l’entrée d’au moins deux succursales montréalaises de la Société des Alcools du Québec, la société d’État disposant d’un monopole sur la vente de vins et spiritueux. Des personnes de plus de 70 ans ont été refusées à la porte, ce qui a suscité l’indignation d’une partie de la population. La direction de la société d’État a reconnu le même jour que ces cas de discrimination étaient avérés.
«Les insultes et les comportements d’exclusion sont inacceptables. Imaginez comment les personnes âgées peuvent se sentir? Il faut dire clairement que les attitudes agressives ne seront pas tolérées. […] C’est certain que la peur peut amener les gens à avoir des comportements qu’ils n’auraient pas en temps normal. […]. Il y a un climat de suspicion envers les aînés, car ils sont très visés par les mesures. Le poids sur certaines personnes âgées devient lourd», poursuit la présidente de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées.
Judith Gagnon n’est pas la seule à dénoncer ce genre de comportements au Québec.
Covid-19: des aînés sommés de rentrer chez eux
Ces derniers jours, plusieurs personnalités ont sensiblement fait le même constat dans les journaux et médias québécois.
«Parmi les comportements les plus fâcheux ayant émergé [depuis l’annonce des mesures, ndlr], celui qui consiste à dénigrer une partie de la population en bloc. […] Cette tendance au dénigrement collectif est actuellement, sous couvert de vertu sociale, à l’œuvre: il s’agit de ces gens qui stigmatisent collectivement les aînés», écrit le 26 mars l’historien Marc Simard dans les pages du Devoir.
Le 23 mars, Québec a annoncé la fermeture de tous les commerces et entreprises jusqu’au 13 avril, à l’exception de ceux déclarés essentiels, comme les épiceries et les pharmacies. Les événements en milieu clos de plus de 250 personnes étaient déjà interdits depuis le premier jour des mesures de prophylaxie. Depuis le 25 mars, tous les voyageurs en provenance de l’étranger doivent maintenant se mettre obligatoirement en isolement pour 14 jours, sans quoi ils s’exposent à recevoir une amende pouvant aller jusqu’à un million de dollars canadiens (65.000 euros). Les récalcitrants reconnus coupables pourraient aussi recevoir une peine d’emprisonnement d’un maximum de trois ans.
«J’espère que la pression va baisser. […] Je ne suis ni optimiste ni pessimiste: je suis réaliste et je regarde les événements à froid. Alors je ne sais pas exactement si la situation va empirer. Le virus doit nous apprendre à vivre ensemble», a conclu Mme Gagnon en entrevue.